Cabinet Naudin > Actualités juridiques > Droit de propriété : vers une fin de la démolition systématique des empiètements minimes?

Droit de propriété : vers une fin de la démolition systématique des empiètements minimes?

Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-25.113 ( à publier)

 

L’article 545 du Code civil dispose que « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

 

L’alinéa premier de l’article 555 de ce même code précise que : « lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever ».

 

Dans une jurisprudence séculaire, les juges du fond sanctionnait toute atteinte à ce droit de propriété avec une extrême rigueur (Cass. 3e civ., 14 mars 1973 : Bull. civ. 1973, III, n° 206 – 26 juin 1979 : Bull. civ. 1979, III, n° 142).

 

Quelques frémissements des juges du fond s’étaient pourtant faits ressentir s’agissant de l’appréciation de l’opportunité de cette sévérité.

 

Cependant, la Cour de Cassation censurait régulièrement ces juges du fond qui, en raison du caractère négligeable de l’empiètement par le propriétaire du fonds voisin, ne faisaient pas droit à la demande en démolition du propriétaire voisin.

 

 

 

 

Ainsi par exemple, l’empiétement d'une partie de la clôture de 0,5 centimètre suffisait, pour la juridiction suprême, à justifier la demande en démolition formulée par le propriétaire voisin (Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n° 00-16.015, Bull. civ. 2002 III n° 71 p. 61).

 

La Cour de Cassation se faisait alors le champion du droit de propriété inviolable et sacré.

 

Cette jurisprudence sévère de la Cour de Cassation a pourtant subi l’épreuve du temps.

 

En effet depuis le milieu de l’année dernière, la proportionnalité semble faire une incursion dans ce domaine qui semblait pourtant figé.

 

C’est ainsi qu’il a été jugé successivement que :

 

-          si l'empiétement est dû au seul enduit de façade de l'immeuble, sans que les semelles de cet immeuble débordent sur la parcelle voisine, la réparation de l'empiètement par un simple grattage de l'enduit suffisait (Cass. 3e civ., 23 juin 2015, n° 14-11.870, inédit).

 

-          la demande en démolition doit être écartée si les empiétements imputables aux voisins sont minimes, qu'ils ne diminuent pas l'usage de la servitude et n'en rendent pas l'exercice plus incommode (Cass. 3e civ., 14 janv. 2016, n° 14-20.247, inédit).

 

Dans la décision aujourd’hui discutée, la Cour de cassation confirme  sa nouvelle position en la matière et fait œuvre d’une plus grande tolérance.

 

En effet, cette décision établit clairement que, désormais, les juges du fond auront dans leur arsenal un contrôle de proportionnalité et  que l’empiètement minime n’aura plus pour conséquence automatique la destruction et la remise en l’état antérieur.

 

Cet arrêt du 10 novembre 2016 vient donc consacrer l’avènement d’un contrôle de proportionnalité et par conséquent la disparition de l’ancienne sévérité jurisprudentielle.

 

L’espèce est assez classique.

 

Des propriétaires assignent leur voisin, propriétaire d’une parcelle contiguë, en suppression d'un bâtiment empiétant sur leurs fonds.

 

Un rapport d’expertise est déposé selon lequel l’angle Nord-Ouest de la construction en question empiète de 2 cm sur l’héritage des demandeurs, soit une superficie de 0, 04 m².

 

En première instance ils sont déboutés.

Dans la suite procédurale, les juges de la Cour d’Appel de Paris font droit à leur demande et ordonnent la démolition totale du bâtiment, au motif que les considérations de l'expert selon lequel l'empiétement représenterait une bande d'une superficie de 0, 04 m² sont inopérantes au regard des dispositions des articles 544 et 545 du code civil et que cet empiétement fonde la demande de démolition de la construction litigieuse.

 

Saisie de cette question, la troisième chambre civile estime : « qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si un rabotage du mur n'était pas de nature à mettre fin à l'empiétement constaté, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

 

L’emploi de la proportionnalité de la sanction est donc clairement consacré car en effet la démolition de l’entier bâtiment pour deux centimètres d’empiètement est une mesure manifestement disproportionnée.

  

La question qui se pose désormais est celle de la définition jurisprudentielle  du caractère minime de l’empiètement…



Ce bien m'intéresse
Les champs indiqués par un astérisque (*) sont obligatoires