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Le changement d'affectation d'un lot d'habitation en lot commercial.

 
Un copropriétaire peut-il librement changer l’affectation de son lot, voué initialement à l’habitation, afin de le donner à bail commercial ?

 
Cette question du changement d’affectation qui anime régulièrement la vie des copropriétés devient d’autant plus complexe lorsque s’y entremêlent le statut de la copropriété et les droits de l’urbanisme, de la construction et des baux commerciaux.

 
Elle peut être, par ailleurs, source de responsabilité tant il est vrai que pèse sur le copropriétaire bailleur une obligation précontractuelle d’information[1] et sur le rédacteur du bail une obligation de veiller à la validité et à l'efficacité de son acte[2]

 
Envisager un tel changement nécessite donc du copropriétaire bailleur un minutieux travail préparatoire par lequel il doit :

 
1.) S’assurer de l’obtention des autorisations administratives nécessaires.
2.) S’assurer du respect des règles de la copropriété en se posant les questions suivantes
  • Quelle est l’affectation originelle du lot ? 
  • Le règlement de copropriété contient-il des stipulations relatives au changement d’affectation ? 
  • Le changement d’affectation envisagé est-il conforme à la destination de l’immeuble ? 
  • Le changement d’affectation envisagé porte-il atteinte aux droits des autres copropriétaires ?
 

  • L’obtention des autorisations administratives nécessaires
 
Différentes autorisations administratives doivent avoir été obtenues préalablement à la signature du bail commercial à intervenir. A défaut le syndicat des copropriétaires pourra légitimement s’opposer au changement d’affectation envisagé[3].

 
Le changement de destination au sens administratif

 
Ce changement de destination est attaché au local visé et donc relatif aux règles d’urbanisme qui lui sont applicables.
Le changement d’une des 5 différentes destinations, fixées par l’article R151-27 du Code de l’urbanisme, à une autre, nécessite une autorisation d’urbanisme préalable.
A l’inverse, le changement entre 2 des 21 sous-destinations, mentionnées à l’article suivant, peut, sous certaines conditions, s’en affranchir.
 
Ainsi un changement de destination s’accompagne :
 
  • D’une simple déclaration préalable[4]lorsque ce changement ne s’accompagne pas de travaux modifiant les structures porteuses ou la façade du bâtiment, ou créant une emprise au sol ou une surface de plancher supérieure à 20 m² (ou à 40 m² sous certaines conditions) ;
  • D’un permis de construire[5]dans le cas inverse.
 
Le changement de sous-destination, quant à lui, n’est soumis à :
 
  • Aucune formalité : lorsque ce changement ne s’accompagne pas de travaux modifiant les structures porteuses ou la façade du bâtiment, ou créant une emprise au sol ou une surface de plancher supérieure à 20 m² (ou à 40 m² sous certaines conditions) ;
  • Un permis de construiredans le cas inverse.
 

Déclaration de mise à jour de la valeur locative

 
Les changements de destination des propriétés bâties et les changements d'utilisation des locaux à usage professionnel ou commercial doivent être déclarés auprès de l'administration fiscale pour lui permettre de mettre à jour la valeur locative cadastrale des locaux, à partir de laquelle est calculée la taxe foncière.
Le propriétaire doit alors adresser, au bureau du cadastre dont dépendent les locaux, une déclaration IL n°6704 dans les 90 jours de la réalisation du changement.

 
Le changement d’usage de l’art. L631-7 du CCH

 
Cette disposition, qui se réfère à l'usage qui est effectivement fait du bien, a pour objectif de lutter contre la pénurie de logements dans les centres urbains et touristiques.

Originellement, le CCH prévoyait une interdiction presque totale de transformer un local à usage d’habitation en local commercial.

Plusieurs textes plus libéraux[6], dont notamment l’ordonnance n°2005-655 du 8 juin 2005, sont venus assouplir cette position.

Désormais l’article L631-7 du CCH permet, sous certaines conditions le changement d’affectation et le soumet à autorisation préalable.

Cette réglementation ne concerne que les communes de plus de 200 000 habitants, et l’ensemble des communes des départements de la petite couronne en Ile de France. Les autres communes peuvent décider par arrêté municipal, ou délibération de l’EPCI, de le rendre applicables sur tout ou partie de leur territoire[7].

Ne sont visés que les changements d’usage de locaux d'habitation. Ainsi et à l'inverse, aucune autorisation n'est nécessaire si le changement d'usage concerne la transformation de locaux commerciaux (magasin, bureau...) en locaux d'habitation.

Au terme des articles L631-7 et suivant du CCH, ce changement d’usage a un caractère personnel, c’est-à-dire qu’il est normalement temporaire et incessible.
Il peut cependant avoir un caractère réel, attaché au local et donc définitif, si la demande est accompagnée d’une offre de compensation c’est-à-dire de la transformation, par le propriétaire, d’un autre local à usage autre que l’habitation, en local à usage d’habitation.
 
  • Le respect des règles de la copropriété
 
Pour l’article 9 de la Loi du 10 juillet 1965, les copropriétaires disposent, usent et jouissent librement des parties privatives comprises dans leurs lots.
Chaque copropriétaire peut donc librement donner à bail ses parties privatives[8]  ou en changer l’affectation.
Cette liberté n’est cependant pas totale puisqu'elle est sévèrement encadrée par la destination de l’immeuble et les droits des autres copropriétaires.
 
La conclusion d’un bail commercial sur un lot de copropriété impose donc au copropriétaire bailleur de préalablement connaitre :
  • L’affectation originelle du lot
  • Le contenu du règlement de copropriété relatif au changement d’affectation
  • La conformité du changement d’affectation avec la destination de l’immeuble
  • Sa conformité avec les droits des autres copropriétaires

 
L’affectation originelle du lot

 
Selon l’article 8 de la Loi du 10 juillet 1965, le règlement de copropriété « détermine la destination des parties tant privatives que communes… »
Dans cette opération de qualification, ce document contractuel se réfère classiquement aux catégories légales (habitation, commerce, activité professionnelle ou industrielle…).
Si ses termes ne sont pas suffisamment clairs et qu’un litige naît, l’interprétation judiciaire s’imposera. Le juge se basera alors sur le contenu du règlement, de l’état descriptif de division et, si nécessaire, la configuration des lieux.

Gardons en mémoire que c’est le règlement qui caractérise et détermine l’affectation. L’état descriptif de division, traditionnellement dépourvu de valeur contractuelle, se borne à identifier les lots pour les besoins de publicité foncière. Il précise donc la nature de chaque lot, la consistance exacte de ses parties privatives et les tantièmes de copropriété qui lui sont affectés.

L’absence de valeur contractuelle de cet état descriptif ne permet normalement pas au copropriétaire de prétendre à son contenu, néanmoins, le juge peut s’y référer si le règlement ne détermine pas clairement l’affectation[9].

Si le contenu de ces documents n’apporte pas d’informations suffisantes, le juge peut fonder sa décision sur la configuration des lieux c’est-à-dire la consistance matérielle et le lieu de situation de l’immeuble.

Les exemples sont ici légions :
 
  • Un « sex-shop » est incompatible avec la situation d’un immeuble situé en face de la cité administrative, abritant la chambre des notaires et une librairie religieuse[10].
  • L’imprécision d’un règlement ne permet pas d’interdire une discothèque dans un immeuble qui n’est pas situé dans un environnement excluant les commerces à fermeture tardive[11].

Si cette affectation n’est pas originellement commerciale, il est évident que le copropriétaire, qui envisage de donner à bail commercial son lot, doit la changer. Peut-il le faire librement ?

 Cette question a connu une évolution jurisprudentielle.
Initialement, la jurisprudence considérait que l’affectation prévue par le règlement avait une valeur contractuelle. Seul un vote unanime du syndicat des copropriétaires pouvait permettre de la modifier[12].
Puis un revirement de jurisprudence est intervenu. Désormais l’affectation du lot n’est qu’indicative, tout copropriétaire est donc libre de la changer[13], sans avoir besoin de solliciter une autorisation en assemblée générale[14].
Cette liberté est évidemment soumise au respect de la destination de l’immeuble, des droits des autres copropriétaires et du contenu du règlement de copropriété.
 

Les clauses du règlement relatives au changement d’affectation

 
Le règlement de copropriété peut contenir des clauses traitant expressément des changements d’affectation.

Ainsi le règlement peut prohiber une telle démarche. Une ancienne jurisprudence reconnaissait la validité de ces clauses et imposait un vote unanime pour permettre un changement d’affectation[15].
La jurisprudence a ensuite réputé non écrites ces clauses.

Le règlement peut aussi prévoir des clauses spécifiques conditionnant les changements d’affectation. Ces clauses sont licites[16]. Elles doivent donc être respectées.
Cependant, même si le règlement autorise un changement d’affectation, la nouvelle activité envisagée ne doit pas être génératrice de troubles anormaux de voisinage. A défaut, elle peut être interdite par le syndicat[17].

Notons, néanmoins, que la plupart des règlements sont silencieux sur cette question.

En tout état de cause, la conformité du changement d’affectation à la destination de l’immeuble et aux droits des autres copropriétaires doit être examinée.

 
Le changement d’affectation et la destination de l’immeuble


De jurisprudence constante, si l’utilisation projetée dans le cadre de cadre de la nouvelle affectation est contraire à la destination de l’immeuble, elle doit être autorisée à l’unanimité[18].

Une étude précise de la destination de l’immeuble est donc nécessaire. Envisageons les différentes hypothèses en la matière.

L’immeuble est à destination exclusive d’habitation (clause d’habitation bourgeoise exclusive). Les autres activités ou usages y sont interdits[19]. Le changement d’affectation, quel qu’il soit, y est donc proscrit.

L’immeuble est à destination d’habitation mais tolère les activités professionnelles et libérales[20] (clause d’habitation bourgeoise simple). Le caractère « bourgeois » de l'occupation interdit toute activité commerciale ou industrielle[21].
La conclusion d’un bail commercial n’y parait donc envisageable que dans le cadre de ces activités libérales et professionnelles.

L’immeuble est à destination mixte d’habitation/ professionnel.
Dans ces circonstances, si le règlement affecte spécialement certains locaux à certaines activités, il ne sera pas possible de déroger à ces stipulations[22]
Dans le cas inverse chaque appartement pourra être utilisé indistinctement pour chacune de ces activités sans qu’aucune décision d’assemblée générale ne puisse y porter atteinte sauf unanimité[23]
Néanmoins, l’activité commerciale y est interdite si bien que le changement d’affectation d’un lot voué à l’habitation en local commercial est directement contraire à la destination de l’immeuble.
 
L’immeuble est à destination mixte d’habitation/commerciale. Cette destination offre le plus de flexibilité. Le changement d’affectation y parait donc totalement envisageable.

Il est néanmoins nécessaire de :
 
  • Respecter la destination par étage[24].
  • Coordonner l’activité / standing de l’immeuble (dans immeuble de grand luxe pas de gymnase[25] ni de « laser game »[26])
  • Respecter les clauses du règlement relatives à l’usage et la jouissance des parties privatives et communes [27].
 

Le changement d’affectation et les droits des autres copropriétaires

 
L’activité objet du changement d’affectation ne doit, enfin, pas être génératrice de troubles anormaux de voisinage[28]ou contraire aux clauses particulières du règlement.
 
Ainsi lorsque le règlement de copropriété n'exclut pas expressément un commerce ou une activité déterminée, mais se contente de prohiber l'exercice d'une profession ou d'un métier bruyant, insalubre ou dégageant de mauvaises odeurs, l'exploitation d'un restaurant dans un immeuble à usage mixte, si elle n'est pas a priori interdite ne doit pas être génératrice de troubles.
La seule existence de troubles suffit alors à interdire l’activité objet du bail[29].

 Deux exceptions sont cependant envisageables :
 
  • Les aménagements permettant de mettre un terme aux nuisances et désordres[30].
  • L’activité qui ne crée pas plus de nuisances que la précédente exercée dans les locaux[31] (théorie de l’équivalence des nuisances).
 
Le contrôle de la conformité de la nouvelle affectation à la destination de l’immeuble et aux droits des autres copropriétaires nécessite dont une étude précise, chaque copropriété étant unique.

Le copropriétaire qui entend donner à bail commercial son lot initialement affecté à l’habitation doit, donc, préalablement à la conclusion d’un tel acte ;
 
  • Connaitre la destination de l’immeuble et l’affectation de son lot.
  • Vérifier les clauses du règlement relatives au changement d’affectation.
  • Vérifier si les autorisations administratives nécessaires ont été obtenues
  • Vérifier si l’activité n’est pas contraire à la destination de l’immeuble.
  • Vérifier si l’activité n’est pas contraire aux droits des autres copropriétaires, au contenu du règlement (génératrice de troubles).
 

Si toutes ces conditions sont respectées, le changement d’affectation ne nécessitera pas d’autorisation donnée en assemblée.
Néanmoins, si un doute subsiste, il peut être préférable de la consulter et ce pour éviter de fâcheuses conséquences pouvant aller jusqu’à la condamnation du copropriétaire au rétablissement des lieux à leur affectation d’origine.
Ce rétablissement peut être judiciairement ordonné pendant un délai de 5 ans[32] à compter de la date de l'infraction commise[33].
S’agissant d’un trouble manifestement illicite, la juridiction des référés peut être compétente pour ordonner une telle mesure[34].
 
Mais attention à ne pas solliciter imprudemment l’assemblée car même si son autorisation n'est pas nécessaire, son refus, non contesté, s’impose et devient définitif[35].
 
[1] Cass Com 24 novembre 1992 n°91-11561
[2] Civ 1ère 17 janvier 2018 n°16 28100
[3] Civ 3ème 29 avril 2002 n°0020213
[4] Art. R. 421-17, b CU
[5] Art. R. 421-14 CU
[6] Loi n°2006-872 du 13 juillet 2006, Loi n°2008-776 du 4 août 2008, Loi ALUR n°2014-366 du 24 mars 2014, Loi ELAN n°2018-1021 du 23 novembre 2018
[7] Art L631-9 CCH
[8] Civ 3ème 17 juillet 1972 JCP 1972 II 17421
[9] Civ 3ème 2 mai 2012 n°11-12256
[10] Civ 3ème 22/11/00 n°98-21927
[11] CA BASTIA 4/06/08 n°05/00023
[12] Civ 3ème 16 octobre 1979 n° 78-13100
[13] Civ 3ème 10 décembre 1986 n°85 -11374
[14] CA Paris 18/05/2011 n°09/22193
[15] Civ 3ème 3 janvier 1979 D 1979 p.444
[16] CA PARIS 15/03/2012 n°10/12301 et CA VERSAILLES 4ème 25/04/00 Dossier CSAB n°89/01
[17] Civ 3ème 29 février 2012 n°10/26618
[18] Civ 3ème 28 avril 1993 RDI 1993 p412
[19]CA DOUAI 13/02/1995 rev loyers 1995 p350, CA Paris, 3 févr. 2005, n° 04/13066 : JurisData n° 2005-261103
[24] CA PARIS 1ere ch 18/09/1996 Loyers et copr.dec 1996
[25] CA Aix en Pce 25/02/1999 D1999
[26] Civ 3ème 23/05/06 n°05-14482
[27] Civ 3ème 16/09/2015 n°14-14518
[28] Civ 3ème 5/10/1994 AJPI 1995 p 493
[30] Civ 3ème 15 janvier 1997 Arrêt 42
[31] Civ 3ème 20/11/96 Loyers et copr 02/97
[32] L. n° 65-557, 10 juill. 1965, art. 42, al. 1° mod. par L. ELAN n° 2018-1021, 2 nov. 2018, art. 213
[34] Civ 3ème 15/09/2015 n°14/11602
[35] Civ 3ème 2/6/2017 n°16-16566

 

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