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Peut-il y avoir une répartition spéciale des charges sans parties communes spéciales ?

Il est fréquent dans une copropriété comportant plusieurs bâtiments que son règlement prévoit une répartition par bâtiment des charges relatives à la conservation et à l'entretien des parties communes.


L'intérêt de ce type de stipulation est de répartir par bâtiment toutes les charges concernant les réparations et travaux divers effectués sur les parties communes


La validité de ces clauses a longtemps été admise en jurisprudence (Cass. 3e civ., 3 févr. 1988 : Loyers et copr. 1988, comm. 185. – Cass. 3e civ., 18 mai 1988 : Loyers et copr. 1988, comm. 348. – Cass. 3e civ., 5 déc. 1990 ; Loyers et copr. 1991, comm. 86. – Cass. 3e civ., 10 mai 1994 ; Loyers et copr. 1994, comm. 397. – CA Paris, 23e ch. B, 25 nov. 1999 : D. 2000, somm. p. 210, note C. Atias).


Mais un arrêt de la troisième chambre civile du 8 juillet 1998 (Cass 3ème Civ 8 juillet 1998 Bull Civ III n°161) a remis en cause ces clauses créant des « charges spéciales » en l’absence de parties communes spéciales.


Au terme de cet arrêt, l'article 24, alinéa 3, de la loi du 10 juillet 1965, qui servait de fondement à ces clauses de charges spéciales, ne pouvait s’appliquer en ce qui concerne des travaux, qu'il s'agisse de travaux d'entretien ou de réparation comme le ravalement, ou encore de réfection.
Cette solution donnée par la Cour de cassation pouvait avoir pour conséquence de rendre irrégulières et donc annulables les clauses de séparation des charges par bâtiment en cas de pluralité de bâtiments, dès lors qu'il n'existe ni spécialisation des parties communes ni syndicat secondaire.


Cette question a, semble-t-il, par la suite, encore évolué.


Ainsi dans un arrêt en date du 1er février 2006, la Cour de cassation était confrontée à une décision dans laquelle les juges du fond avaient estimé que dans la mesure où le règlement de copropriété n'avait pas prévu de parties communes spéciales, la clause du règlement instituant une répartition spéciale des charges afférentes aux parties communes devait être réputée non écrite.


La Cour de cassation devait censurer en considérant que les juges du fond auraient dû rechercher si la "nature indépendante des bâtiments" ne justifiait pas une répartition spéciale des charges relatives à la conservation, à l'entretien et à l'administration des parties communes de ces bâtiments et l'exonération du montant des travaux réalisés dans les autres.


Cette décision a été rendue sur le visa de l'article 10 de la loi du 10 juillet 1965 et également de l'article 1134 du Code civil donnant ainsi un fondement purement contractuel à la clause de répartition spéciale des charges (Cass. 3e civ., 1er févr. 2006, n° 05-10.398 : JurisData n° 2006-031991 ; Loyers et copr. 2006, comm. 85, obs. G. Vigneron ; Administrer avr. 2006)


La doctrine en a déduit que "la clause de spécialisation pouvait être valable sur un fondement exclusivement contractuel et sans référence à l'article 24, alinéa 3 de la loi du 10 juillet 1965" (J.-R. Bouyeure, La spécialisation des charges de l'article 10, alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1965 : Administrer juin 2010, p. 18.)
Cet arrêt n’ayant pas été publié, son influence reste relative et ce d’autant plus que par la suite d’autres décisions diamétralement opposées ont été rendues.


Ainsi dans une décision en date du 19 novembre 2015, la Cour de Cassation était confrontée à une copropriété composée de plusieurs bâtiments. Son règlement indiquait que «les charges incombant seulement à un ou certains immeubles seraient supportées par les copropriétaires de ces immeubles et réparties entre eux au prorata de leurs millièmes de parties communes ». Mais ce règlement ne prévoyait aucune partie commune spéciale.


Les juges du fond avaient alors déduit que le coût de travaux de réfection des parties communes concernant l'un des bâtiments devait être supporté par l'ensemble des copropriétaires.


La Cour de cassation a approuvé en relevant que « l'existence de bâtiments distincts n'était pas en elle-même de nature à justifier une répartition des charges par bâtiment » (Cass 3e Civ 19 novembre 2015 n° 14 25510, publié au Bulletin; Loyers et copr. 2016, n° 23, note G. Vigneron ; Administrer févr. 2016, p. 40, note J.-R. Bouyeure. – V. aussi Cass 3èem Civ 8 octobre 2015 n°14 13100: Administrer janv. 2016, p. 34, note J.-R. Bouyeure ; AJDI 2016, p. 278, note N. Le Rudulier).

Un arrêt de la cour de Paris est venu plus récemment confirmer cette position en précisant qu'en l'absence de partie commune spéciale par bâtiment il n'y a pas de possibilité de spécialisation des charges de l'article 10, alinéa 2 de la loi de juillet 1965 (charges dites « générales »), si bien que les lots de parkings doivent participer aux frais d'entretien des parties communes telles que les frais de ravalement et de réfection d'une toiture (CA PARIS, Pôle 4 6 janvier 2016 n°12 7038 Administrer avr.2016 p.42 note BOUYEURE)


On doit pouvoir en conclure que sans parties communes spéciales, il ne peut, sauf sur des questions de pur entretien, avoir de spécialisation des charges générales même en présence d’une copropriété composée de plusieurs bâtiments strictement indépendants.
 

La difficulté pour le syndic d’une telle copropriété est ici évidente.


En effet un arrêt de la Cour de Cassation du 3 juillet 1996 énonce que le syndic, agent d’exécution du règlement de copropriété, doit appliquer une clause tant que son caractère illicite n’a pas été reconnue (Cass Civ 3ème 3 juillet 1996 RD IMM 1996 p 611.)


Dès lors face à une telle clause, le syndic se doit de l’appliquer tant que le syndicat ou une décision judiciaire ne l’a pas réputée non écrite.


Le syndic doit cependant informer le syndicat de la difficulté et si le caractère non écrit de cette clause est manifeste, de l’inviter dans un premier temps à constater l’illicéité de la clause en question pour ensuite la retrancher du règlement (majorité de l’article 24 de la Loi du 10 juillet 1965).
Si le syndicat refuse et souhaite la stricte application de cette clause, tout copropriétaire s’estimant lésé pour en obtenir judiciairement le retrait.


Les membres du Cabinet NAUDIN se tiennent à votre disposition pour, forts de leur expertise en la matière, vous assister dans l’analyse d’une telle situation.
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